Eclipse totale de Soleil du 20 mars 2015
depuis la stratosphère à bord d’un avion d’affaires Dassault Falcon 7X
Création de T. Nordgren
Le point central de cette éclipse (phase de totalité pendant 2 min 46 sec) se trouvait au milieu de l’océan Atlantique Nord à l’est de l’Islande et au nord-ouest des îles Féroé. Comme les conditions météorologiques n’étaient pas des plus favorables sur les quelques terres émergées situées dans la bande de totalité, une observation depuis la stratosphère était plus que tentante. Le Svalbard était le second choix car il y a un nombre conséquant de journées de ciel clair à cette période de l’année, c’est d’ailleurs ce qui s’est passé le jour de l’éclipse. Les îles Féroé étaient le troisième choix à cause de la météo très variable qui explique pourquoi certains l’ont vue et d’autres pas.
Je tiens avant tout à remercier tous les acteurs (AmJet Executive et Dassault ainsi que leur salariés, mais aussi les propriétaires privés qui nous ont confié leurs avions) qui ont participé d’une manière ou d’une autre à cette merveilleuse et intense aventure qui a nécessité deux ans de préparation. Malgré les nombreuses difficultés, nous sommes finalement parvenus à réaliser ces différents vols à fort enjeu qui resteront à n’en pas douter dans les mémoires. En attendant la prochaine occasion, n’hésitez pas à me solliciter! Merci aussi à tous les participants de m’avoir fait confiance.
L’organisation de ces vols répondait à une demande et avait dès l’origine une justification scientifique avec la possibilité d’étudier la couronne solaire à des longueurs d’onde hors du spectre visible. C’est un bon exemple de coopération entre les amateurs et les professionnels. Pour observer cette éclipse avec une quasi certitude d’avoir un ciel dégagé, un certain nombre de vols ont été organisés à proximité des îles Féroé et dans la bande de totalité il y avait:
quatre avions d’affaires Dassault Falcon 7X, pour lesquels j’ai coordonné les plans de vol, volant tous au-dessus des autres à des altitudes allant jusqu’à 49.000 pieds (14.935 mètres) dans la basse stratosphère,
11 avions spécialement affrétés (de FL340 à FL400). C’était tous des avions commerciaux réguliers du type A320-200, B737-800, B757-200 et MD-83,
un Beechcraft B200 King Air de la BBC qui a retransmis en direct l’éclipse pour l’émission Stargazing Live et pour lequel j’ai activement contribué au plan de vol,
et environ 12 vols commerciaux réguliers (certains ayant modifié leur trajectoire et d’autres ayant même effectué des boucles pour faire plaisir à leurs passagers, membres d’équipage et pilotes).
Il y avait aussi un CASA CN-235 de l’Air Corps irlandais qui se trouvait plus en amont et proche de l’Irlande, pour lequel j’ai aussi fourni le plan de vol. Beaucoup plus loin que les îles Féroé, un Dornier 228 a volé au-dessus de Longyearbyen au Svalbard, et un autre vol depuis Mourmansk en Russie a effectué une interception intermédiaire.
Parmi les quatre avions d’affaires Falcon 7X, deux ont décollé de Paris-Le Bourget, un autre depuis Genève et le dernier complètement privé depuis Anvers. Les trois premiers, un total de 50 personnes, ont volé à des altitudes comprises entre 49.000 pieds (14.935 mètres) et 47.000 pieds (14.326 mètres) alors que le dernier se trouvait à 43.000 pieds (13.106 mètres). Tous les vols éclipse ont connu un grand succès. Après l’éclipse les trois premiers Falcon 7X ont effectué une escale à Vágar aux îles Féroé, avant de retourner respectivement à leurs aéroports d’origine, alors que le dernier est rentré directement. Le premier Falcon 7X, celui à bord duquel je me trouvais, embarquait des expériences scientifiques pour le compte de l’Institut pour l’Astronomie de l’Université de Hawaï et le second avion en avait aussi une pour l’Institut d’Astrophysique de Paris.
Mon logiciel Solar Eclipse Maestro a été utilisé pour préparer tous les vols mais aussi en vol pour effectuer des ajustements. Les déviations en distance, cap et altitude par rapport à la trajectoire d’interception planifiée étaient constamment mises à jour afin de pouvoir effectuer des ajustements si cela s’avérait nécessaire.
Environ une semaine avant l’éclipse et alors que je revenais tout juste d’une reconnaissance en Indonésie pour préparer l’éclipse totale de Soleil du 9 mars 2016, Isavia, l’entité islandaise qui gère le trafic aérien dans la zone située notamment au nord-ouest des îles Féroé, a émis une directive restreignant opérationnellement les vols éclipse à deux couloirs aériens désignés par «Solar Eclipse East» et «Solar Eclipse West». Ces noms reflètent l’intention de Isavia d’avoir uniquement deux couloirs de chaque côté de la ligne centrale, approximativement mais pas exactement parallèle à celle-ci car le personnel de Isavia a utilisé des valeurs entières pour les points d’entrée et de sortie. Il est à noter que cette directive ne s’applique pas à tous les vols, tout dépend du statut sous lequel un vol est enregistré. Malgré le fait que les position et orientation de ces couloirs n’étaient pas optimales particulièrement aux niveaux de vol supérieurs à 450, et après de nombreux échanges avec le contrôle aérien en Islande, nous avons finalement décidé de les utiliser pour trois des quatre Falcon 7X, le quatrième ayant quant à lui sa propre trajectoire optimale. Comme nous pourrons le voir plus tard cette décision eu bien entendu de sérieuses conséquences quant au cap vrai des avions, c’est-à-dire la direction vers laquelle le nez pointe.
De plus les durées prévisionnelles de totalité sans tenir compte des vents étaient par conséquent réduites d’environ une seconde. Au final et avec les vents d’altitude nous avons eu une durée d’environ 3 minutes et 46 secondes comme prévu lorsque le vecteur vent est pris en compte.
Analyse du Vol Leader
La carte ci-dessous indique en blanc les deux couloirs «Isavia» avec leurs routes d’entrée et de sortie. La trajectoire de totalité nominale est affichée en bleu marine et rouge pour la partie de totalité, alors que l’exécution en vol du Falcon 7X leader est en vert. La trajectoire nominale est principalement là pour fournir deux choses, tout d’abord la durée de la totalité la plus longue mais plus important pour avoir la cabine passagers de l’avion perpendiculaire au Soleil éclipsé. La bande ombrée de totalité ainsi que la ligne centrale sont affichées au niveau de la mer, alors que l’ombre est visible au niveau de la mer mais aussi sous la forme d’un contour rouge au niveau FL485.
Cette carte montre le trajet complet du Falcon 7X leader depuis le décollage de l’aéroport d’affaires de Paris-Le Bourget jusqu’à l’interception de l’éclipse puis son atterrissage à Vágar et ensuite son retour dans l’après-midi à Paris-Le Bourget.
L’animation ci-dessous montre en vert l’exécution du vol stratosphérique du Falcon 7X leader, ainsi que la trajectoire nominale, en bleu marine. La bande de totalité, ombrée, est représentée au niveau de la mer, les lignes en pointillés, en rouge pour les limites nord et sud, en orange pour la ligne centrale, sont au niveau de vol 485 (ou encore FL485). L’ombre durant l’interception de la totalité est dessinée à la fois au niveau de la mer mais aussi à FL485.
Comme chacun peut le voir il existe un écart variable d’environ 10 miles nautiques par rapport à la trajectoire nominale. Malheureusement Isavia n’a pas laissé de marge de manœuvre pour apporter des améliorations bénéfiques.
Simulation du vol stratosphérique d’observation de l’éclipse au-dessus de l’Océan Atlantique Nord.
Trajectoire nominale en bleu marine, réelle en vert. La flèche jaune, quand elle est affichée, indique la direction du Soleil.
L’animation ci-dessous montre en vert l’exécution du vol stratosphérique du Falcon 7X leader, ainsi que la trajectoire suboptimale "Isavia Solar Eclipse East", en bleu marine.
On peut apercevoir différentes choses importantes. Tout d’abord un retard de 10 secondes par rapport à la trajectoire optimale, ce point n’ayant aucune conséquence au niveau de la qualité des observations de l’éclipse. Par contre le point embêtant concerne l’angle de la cabine passagers de l’avion avec le Soleil éclipsé: la valeur à suivre est «LoS». Durant la totalité on constate que cet angle varie de 6 à 7 degrés, ce qui signifie que la cabine de l’avion n’était pas perpendiculaire au Soleil éclipsé et que par conséquent la trajectoire des rayons lumineux n’était pas optimale pour éviter ou tout du moins réduire les aberrations. Une valeur acceptable se situerait entre 0 et 2 degrés. Malheureusement avec les forts vents de travers il était matériellement impossible d’atteindre cette valeur tout en restant sur la trajectoire suboptimale imposée par Isavia.
Exécution du vol stratosphérique d’observation de l’éclipse au-dessus de l’Océan Atlantique Nord.
Trajectoire subnominale imposée par Isavia en bleu marine, réelle en vert. La flèche jaune, quand elle est affichée, indique la direction du Soleil.
Regroupement en Vol des Falcon 7X
Après le décollage les quatre Falcon 7X se sont donnés rendez-vous à l’approche des îles Féroé avant d’aborder leurs trajectoires d’interception respectives.
Trajectoire d’approche pour les Falcon 7X
Deuxième Falcon 7X, en provenance de Paris-Le Bourget, volant en-dessous du premier
L’ombre de la Lune nous rattrape maintenant à grande vitesse et cette lumière si particulière avant la totalité nous donne des frissons. Les ombres créèes par les nuages deviennent plus nettes à mesure que le fin croissant solaire se réduit.
La lumière change à l’approche de l’ombre de la Lune et de la totalité
Déroulement du Vol Leader
L’avion est maintenant en vol stabilisé avec une vitesse vraie de 469 nœuds (Mach 0,81) sur la trajectoire de totalité au niveau de vol FL485, c’est-à-dire 48.500 pieds (14.790 mètres). L’angle de cabrage est de 2,5 degrés, le vent d’altitude est fort et de travers (316 degrés et 43 nœuds). Le milieu de la totalité approche.
Vol dans la stratosphère avec un avion d’affaires Dassault Falcon 7X à FL485, c’est-à-dire 14.800 mètres (48.500 pieds) dans le cône d’ombre de la lune
Nous sommes maintenant au milieu de la totalité et on peut apercevoir la forme elliptique de l’ombre de la Lune sur le sommet des nuages. Le Soleil éclipsé se trouve quasiment dans la direction opposée à la vue. Sur la chemise blanche du chef pilote on devine la couleur caractéristique et magique de la lumière de la couronne solaire.
Vol dans la stratosphère avec un avion d’affaires Dassault Falcon 7X à FL485, c’est-à-dire 14.800 mètres (48.500 pieds) dans le cône d’ombre de la lune
L’ombre de la Lune approche maintenant à grande vitesse, près de 3.200 km/h, et rattrape l’avion par l’arrière avec un différentiel de vitesse de plus de 2.000 km/h. Et voilà, c’est parti pour près de quatre minutes de totalité, une bonne minute supplémentaire par rapport à un observateur fixe, avant que la l’ombre de la Lune ait dépassé l’avion. Avec l’aide des reflets sur les vitres du cockpit on peut apercevoir la console principale ainsi que le coucher de Soleil à l’opposé de l’éclipse.
Vol à l’intérieur du cône d’ombre de la Lune pendant 3 minutes et 46 secondes à 14.800 mètres (48.500 pieds)
[Vénus est visible à gauche du Soleil éclipsé]
Relativement peu d’images sont disponibles suite à un disfonctionnement de mon appareil numérique, probablement dû à un mauvais couplage entre le boîtier et le téléobjectif. La fatique, l’excitation et les diverses préoccupations ont certainement aussi participé à la problématique.
Couronne solaire
Durant la phase d’interception et afin de ne pas perturber les expériences scientifiques, nous avons volé tous feux de navigation et anti-collision éteints pendant une quinzaine de minutes. Des platines, réalisées sur mesure, stabilisées par gyroscope et contrôlées par ordinateur ont été installées dans la cabine passagers de l’avion. Deux de ces instruments ont observé la couronne solaire dans le proche infrarouge, une tâche très ardue depuis le sol car l’atmosphère terrestre filtre ces longueurs d’onde. En volant à très haute altitude on s’affranchit pratiquement complètement de cet obstacle.
Les très nombreuses contraintes opérationnelles n’ont pas facilité le travail, mais ce vol restera comme une très belle réussite permettant de faire progresser nos connaissances sur le fonctionnement de notre Soleil. L’exploitation des données recueillies prendra un certain nombre de mois avant une publication des résultats.
Une partie de l’équipement scientifique de l’Institut pour l’Astronomie de l’Université de Hawaï installé à bord du Falcon 7X leader
(les autres équipes formant les «sherpas du vent solaire 2015» se trouvaient au Svalbard, aux îles Féroé ainsi qu’au large de l’Irlande)
Préparation d’une des plateformes scientifiques dans le proche infrarouge
Spectrographe sans fente de l’Université Aristote de Thessalonique
La croix jaune au nord-ouest des îles Féroé indique la position des Falcon 7X lors de la totalité à 9h45 UTC. On peut observer le déplacement rapide de l’ombre de la Lune; toutefois la taille de l’ombre est grandement exagérée sur l’animation à cause du traitement numérique des images. Cependant le mouvement des masses nuageuses est parfaitement visible et explique bien les vents observés en altitude.
Animation des images satellite du 20 mars 2015 de 7h30 à 11h30 UTC
Merci à notre co-pilote pour avoir partagé cette vidéo du mouvement de l’ombre de la Lune se déplaçant à près de 3.200 km/h au-dessus des nuages.
Déplacement de l’ombre de la Lune en accéléré (8x) depuis 14.800 mètres (48.500 pieds)
Environ une heure après son rendez-vous réussi avec l’éclipse, le Falcon 7X en provenance de Genève-Cointrin s’apprète à se poser à 11h40 à Vágar, aux îles Féroé, où la météo est capricieuse avec un fort vent de travers de près de 40 nœuds (merci à Guillaume Hébrard, qui se trouvait au sol à proximité de l’aéroport et qui a pu observer la totalité, pour les deux photos). Sur la troisième photographie on peut apercevoir les trois Falcon 7X stratosphériques parqués à Vágar. Nous sommes repartis vers 14h.
Et maintenant depuis l’aéroport d’affaires Paris-Le Bourget, devant le Falcon 7X n°2, une bonne partie du personnel de Dassault Falcon Service (naviguant et sol) ayant participé activement à notre merveilleuse aventure. Encore une fois merci à tous!
Sur cette carte on peut apercevoir presque tous les différents avions ayant pu observer l’éclipse totale de Soleil du 20 mars 2015. Cependant deux des quatre Falcon 7X, dont celui sur lequel je me trouvais, ne sont pas indiqués. On peut remarquer qu’un des Falcon 7X qui est affiché ne suit aucun des deux couloirs aériens définis par Isavia, cela est normal comme précisé auparavant.
Environ douze vols commerciaux réguliers, certains ayant modifié leur trajectoire et d’autres ayant même effectué des boucles pour faire plaisir à leurs passagers, membres d’équipage et pilotes, ont pu brièvement voir l’éclipse de Soleil.
Avions réguliers et affrétés pour l’occasion ayant pu observer l’éclipse totale de Soleil 2015
Ci-dessous on peut voir les subdivisions de l’espace aérien européen et les différentes routes aériennes dans la zone de l’éclipse contrôlée par Isavia.
Enfin voilà comment on peut observer une éclipse de Soleil avec distinction depuis le Falcon 7X n°3:
Guillaume Cannat qui tient notamment le blog du Monde «Autour du Ciel» était à bord du Falcon 7X au départ de Genève. Il relate son aventure à travers deux billets datés des 21 mars et 23 mars.
Documentaire de 46 minutes diffusé le 7 mai 2015 à 19h25 par la télévision des îles Féroé Kringvarp Føroya
(la séquence concernant mon groupe débute au bout de 29 minutes et dure six minutes)
Visiteurs
Une éclipse totale de Soleil génère un intérêt certain et international comme le montre la fréquentation instantanée de mon site le 19 mars à minuit.
Fréquentation instantanée de mon site le 19 mars à minuit
Etude des Plans de Vol et Faisabilité
Avec l’aide de Dassault Aviation, différents plans de vol type ont été étudiés afin de vérifier la faisabilité de toute l’opération à très haute altitude.
Plan de vol préliminaire pour intercepter le cône d’ombre depuis Paris-Le Bourget à Vágar