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Eclipses totales de Soleil en France
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Dans un même pays, le spectacle d’une éclipse totale de Soleil est rare. Ainsi, en un lieu donné, plusieurs siècles peuvent même s’écouler entre deux rencontres de la Lune et du Soleil. En attendant l’éclipse totale de Soleil du 3 septembre 2081, celle du 11 août 1999, nous a révélé combien ce rendez-vous est populaire, original et inoubliable. Le 23 septembre 2090, le nord de la France sera de nouveau dans l’ombre de la Lune pour une nouvelle éclipse totale au coucher du Soleil. Malheureusement je n’aurais probablement pas la chance de les voir depuis ma résidence!
Les archives du passé sont assez pauvres en témoignages. Sur une période d’un millénaire on relèvera d’abord l’éclipse totale de Soleil qui traversa la France du nord-ouest au sud-est le 22 décembre 968. Et celle annulaire du 29 juin 1033: «Ce fut extrêmement terrible. En effet, le Soleil devint couleur saphir, montrant dans sa partie supérieure une apparence de croissant lunaire tel qu’il est au quatrième jour de la lunaison», rapporte-t-on à Cluny où l’éclipse fut partielle à 99,4%. Celle du 3 juin 1239 est également remarquée à Montpellier où vient d’arriver le roi Jean le conquérant: «Le jour était si noir que l’on pouvait observer des étoiles dans le ciel». Le 14 mai 1333, Johannes de Muris observe une éclipse à Évreux, en compagnie de trois autres frères de sa congrégation et en présence de la reine de Navarre. Il note que le phénomène a débuté 17 minutes plus tôt que ne le prévoyaient les tables astronomiques Alfonsines. En l’an 1406, une éclipse totale plonge Paris dans la nuit. En 1605, à Marseille, on évoque la «noirceur» remarquable de celle du 12 octobre.
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Au XVè siècle, l’écart entre le calcul et l’observation peut atteindre une demi-heure à une heure. Mais peu d’années après, l’emploi et la révision des tables de la Lune permirent de prédire les éclipses à quelques minutes près, et on cite une observation de La Hire en 1706, qui n’offrit qu’un écart d’une minute et demie, rapporte quatre siècles plus tard l’abbé Moreux dans son livre Les éclipses. A la Renaissance, l’éclipse est une source de terreur pour nombre de gens qui y voient un signe précurseur des vengeances du ciel. L’abbé Moreux raconte ainsi que «la foule envahit les églises et les ecclésiastiques ne parvenaient pas à confesser tout le monde». C’est alors qu’un curé des environs de Paris ne pouvant plus suffire à la besogne eut, dit-on, une idée assez originale. La veille au soir, exténué de fatigue et n’en pouvant plus, il sortit du confessionnal, gravit les degrés de la chaire et s’adressant à la foule: ‘Mes frères, s’écria-t-il, en raison de l’affluence considérable du peuple, les astronomes ont décidé de renvoyer l’éclipse à quinzaine.’ La chronique a omis de nous dire si les paroissiens revinrent au lendemain de l’éclipse».
Ensuite en l’espace de trois siècles, neuf éclipses totales ou annulaires de Soleil auront été observées en France. Trois au XVIIIè siècle: celles totales des 12 mai 1706 et 22 mai 1724, et celle annulaire du 1er avril 1764. Trois au XIXè siècle: une annulaire le 7 septembre 1820, une totale le 8 juillet 1842 qui dura plus de deux minutes et toucha Montpellier, Perpignan, Narbonne, Marseille et Toulon, et enfin, une annulaire le 9 octobre 1847. Les trois éclipses observées au XXè siècle, perlée le 17 avril 1912, totales les 15 février 1961 et 11 août 1999, achèvent ce compte.
L’éclipse la plus célèbre du XVIIIè siècle, celle du 22 mai 1724, toucha Paris. A cette occasion, l’Académie des Sciences fit de grands préparatifs. Le roi Louis XV lui-même voulut réaliser des observations. Il fit venir à Trianon les astronomes Maraldi et Cassini, et observa avec eux l’avancée de l’ombre de la Lune sur le carton blanc où l’on avait tracé douze cercles concentriques. Il apporta dans son cabinet le thermomètre et le baromètre pour observer, suivant l’expression de Cassini, «les variations qui pourraient arriver pendant l’éclipse, tant dans les degrés du chaud et du froid, que dans la pesanteur de l’air.» Mais l’atmosphère ne fut pas de la partie et de bien meilleures observations furent réalisées à l’observatoire de Paris.
La première éclipse totale de Soleil du XXè siècle touche une France rurale dont deux guerres mondiales et les conséquences d’une révolution scientifique et technique nous séparent définitivement. L’éclipse du 17 avril 1912 était visible vers midi du sud-ouest au nord-est, sur une ligne joignant les Sables-d’Olonne à Liège. A l’ouest de Paris, à Saint-Germain-en-Laye, elle est presque totale: les astronomes notent qu’elle est «perlée». Cela signifie que la disparition du Soleil entre les vallées et les pics des montagnes lunaires n’est pas complète et dessine un chapelet de perles brillantes. Ces perles marquent les irrégularités du bord lunaire et morcellent en points séparés les derniers feux du petit croissant de Soleil.
Dans L’Humanité, ce jour-là, l’éclipse est annoncée en première page: «Eclipse sur Terre et dans le ciel (de 10 h à 13 h 08)», titre-t-on avant d’attirer l’attention des lecteurs sur la variation de la coloration des êtres et des objets pendant les deux secondes de totalité attendues. «Dans une lumière sinistre [...], les visages prendront une teinte cadavérique, [...] le vent de l’éclipse se lèvera.» Mais la une est davantage marquée par une terrible nouvelle dont l’impact traversera le siècle: «Une catastrophe que l’on croyait impossible: le Titanic a sombré, engloutissant près de 1.500 personnes».
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Le compte à rebours est à nouveau lancé. Le 3 septembre 2081, aux alentours de 8h36, le spectacle grandiose du Soleil noir a de nouveau rendez-vous avec la France.
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Dans les Mémoires de l’Académie Royale des Sciences de 1724, page 262, on trouve un rapport circonstancié de l’observation de l’éclipse du 22 mai 1724, sous le titre De l’Eclipse totale du Soleil, faite à Trianon le 22 Mai 1724, en présence du Roi.
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Mémoires de l’Académie Royale des Sciences de 1724
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Les diverses phases de cette éclipse totale y sont indiquées par Cassini, à la seconde près, grâce à l’utilisation d’une pendule à secondes. Le temps est évidemment le temps solaire vrai. La localisation exacte et le réglage du pendule sont précisés: «Nous plaçames nos Instruments dans le Sallon qui est à l’extremité de la Terrasse du côté du Canal, & nous réglâmes la Pendule par des hauteurs observées avant & après midi.» La précision de la battue de la seconde est certainement à la seconde près et l’exactitude de l’heure donnée peut aussi être estimée à une seconde puisque les mesures de hauteurs du Soleil viennent d’être mesurées le jour même, un exercice classique pour un astronome. Les instants des contacts mesurés en temps solaire vrai (TSV) doivent être convertis en temps solaire moyen (TSM) grâce à l’équation du temps (ET), puis en temps universel (TU), en connaissant la longitude du lieu par rapport au méridien d’origine de Greenwich. L’équation du temps est connue facilement pour notre époque, mais doit être recalculée pour 1724. Il faut aussi tenir compte du fait qu’elle varie continûment. Aux alentours de 18h30 sa valeur, à l’heure de l’éclipse, doit être de -229 secondes (ET = -3 min 49 sec). Ces 229 secondes sont donc à soustraire au TSV pour obtenir le TSM. La position de la terrasse du Grand Trianon est 48,815389° de latitude Nord et 2,104036° de longitude Est. Cette longitude correspond à un écart temporel de -505 secondes, soit -8 min 25 sec par rapport au méridien de Greenwich. Donc, pour obtenir les instants en temps universel, les données en temps solaire vrai sont à corriger de la valeur totale de -734 secondes, soit de -12 min 14 sec.
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«Sa Majesté se rendit à Trianon quelque temps avant l’heure de l’Eclipse, dont le commencement fut observé à 5h 54' 30".[...]
On continua ensuite de voir le croissant du Soleil diminuer de longueur à mesure qu’il paraissoit se retrecir, sans qu’on y découvrît aucune interruption, & on n’apperçût à la fin qu’un point lumineux, semblable à une Etoile fixe qui disparut entierement à 6h 48' 4" que le Soleil fut entierement éclipsé.[...]
Les Oiseaux cesserent leur ramage, & disparurent quelques momens avant l’Eclipse totale, & le Roi vit très-distinctement Mercure, qui étoit à peu près au milieu entre le Soleil & Venus qui se trouvoient à peu près dans la même direction. On observa aussi diverses Etoiles fixes, telles que la Chevre, & on en auroit apperçû un plus grand nombre, si le Ciel n’avoit pas été autant chargé de vapeurs & de nuages qu’il l’étoit. On voyoit autour du Soleil une espece de couronne de lumière un peu allongée vers l’Occident, dont on ne pût pas déterminer les limites, à cause d’une brume épaisse dans laquelle se trouvoit alors le Soleil & la Lune.
On fut aussi très-attentif à considerer si on ne voyoit point de rayons lumineux sur la surface de la Lune, de même qu’on en avoit remarqué dans celle de 1715 observée en Angleterre, mais on n’en apperçut aucun.» Jacques Cassini parle ici visiblement de l’absence de protubérances.
«La même obscurité dura pendant 2 minutes 16 secondes, après lesquelles le Soleil commença à reparoître à 6h 50' 20", comme un éclair -l’anneau de diamant- , qui dissipa sur le champ les tenebres dans lesquelles on étoit plongé.[...]
Le Soleil parut ensuite jusqu’à son coucher au travers de nuages rares qui ne permirent point d’observer les phases de l’Eclipse après l’Emersion, & quoi-qu’il fut près de l’horison, les Oiseaux reparurent, & on entendit leur ramage comme auparavant.»
Donc en résumant on obtient:
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Grand Trianon en 1700
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- 1er contact: 5h 54' 30", cad 17h42m16s
- 2nd contact: 6h 48' 04", cad 18h35m50s
- 3è contact: 6h 50' 20", cad 18h38m06s
- 4è contact: non observé
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Tracé de l’éclipse de 1724
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Avec une estimation de l’erreur de ±1 seconde pour les instants des 2è et 3è contacts, la durée de la totalité est donc de 136 secondes ±2 secondes.
Passons maintenant aux simulations faites à l’aide de mon outil Base de Données sur Cinq Millénaires d’Eclipses Solaires (5MCSE). On constate qu’en utilisant le ΔT = 10,2 secondes classiquement retenu pour cette date, il y a un décalage bien marqué dans les temps. En revanche, avec un ΔT = 16,3 secondes on obtient une bonne adéquation des temps, la mesure du 2è contact étant moins précise que celle du 3è due à une hésitation qui est à la fois explicable psychologiquement et visuellement par l’éblouissement.
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Cassini
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ΔT = 10,2 s
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Ecarts (s)
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ΔT = 16,3 s
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Ecarts (s)
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1er Contact
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17:42:16±1 s
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17:41:56,7
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-19,3±1 s
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17:41:50,4
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-25,6±1 s
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2è Contact
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18:35:50±1 s
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18:35:55,1
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+5,1±1 s
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18:35:49,5
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-0,5±1 s
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3è Contact
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18:38:06±1 s
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18:38:13,4
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+7,4±1 s
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18:38:07,2
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+1,2±1 s
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Durée Totalité (s)
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136±2 s
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138,3
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+2,3±2 s
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137,7
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+1,7±2 s
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L’écart de quelques dizaines de secondes au 1er contact n’est pas très surprenant pour principalement deux raisons: les conditions météorologiques n’étaient pas très bonnes («Le Soleil étoit couvert de quelques vapeurs ou nuages rares, au travers desquels sa lumière étoit, tantôt plus vive, tantôt plis foible, ce qui ne permettoit pas de distinguer sur la planchette la quantité des doigts éclipsés avec une égale précision.») et la détection du 1er contact est toujours délicate. Le fait que sa détection soit postérieure est donc parfaitement logique.
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